Georges Akerlof : l’économiste qui a mis en lumière les failles cachées des marchés

Georges Akerlof : l’économiste qui a mis en lumière les failles cachées des marchés
Économie

Georges Akerlof, le Nobel qui a révélé comment l’information imparfaite et les normes sociales peuvent faire basculer l’économie.

1. Présentation générale

Georges Akerlof est un économiste américain né le 17 juin 1940 à New Haven (Connecticut, États-Unis). Il est toujours en vie. Issu d’une famille d’intellectuels (son père était chimiste et sa mère écrivaine), il s’intéresse très tôt à la recherche et à la science sociale.

Il a étudié à Yale University avant d’obtenir son doctorat à l’université de MIT (Massachusetts Institute of Technology). Il a ensuite enseigné dans plusieurs universités prestigieuses, notamment à Berkeley, et a occupé des postes à la Réserve fédérale et à la Banque mondiale.

Ses domaines de prédilection sont l’économie de l’information, la théorie des incitations, la sociologie économique et l’analyse des comportements non rationnels. Il a notamment travaillé sur les conséquences économiques de l’asymétrie d’information.

Il est surtout connu pour son article fondateur « The Market for Lemons » publié en 1970, qui a introduit la notion d’asymétrie d’information et a transformé la manière dont les économistes envisagent le fonctionnement réel des marchés. Il a reçu le Prix Nobel d’économie en 2001, partagé avec Michael Spence et Joseph Stiglitz.

2. Contexte historique et intellectuel

Georges Akerlof développe sa pensée économique dans la seconde moitié du XXe siècle, une période marquée par de profonds changements économiques et sociaux.

Dans les années 1960-1970, l’économie mondiale connaît une transformation rapide. Aux États-Unis, le boom de l’après-guerre laisse place à des périodes de stagflation (inflation + stagnation), notamment après les chocs pétroliers de 1973 et 1979. Le modèle keynésien traditionnel, qui avait dominé depuis les années 1940, montre alors ses limites face à des problèmes que la théorie standard peine à expliquer, notamment le chômage persistant malgré la relance.

C’est aussi l’époque où les économistes commencent à remettre en question les hypothèses classiques de la rationalité parfaite et de l’information parfaite. La théorie néoclassique dominante, fondée sur des agents parfaitement informés et rationnels, devient de plus en plus contestée.

Georges Akerlof s’inscrit précisément dans ce contexte. Il cherche à comprendre comment les marchés fonctionnent réellement, et non comme les modèles idéalisés les décrivent. Il introduit alors une idée innovante : les informations ne sont pas toujours partagées équitablement entre les acteurs économiques, ce qui peut fausser les échanges, voire faire disparaître certains marchés.

Son travail est influencé par :

  • la réalité des marchés de biens d’occasion (ex. : voitures, logements),
  • les réflexions sur la confiance, les normes sociales et les comportements non rationnels,
  • et un intérêt croissant pour les ponts entre économie et sociologie.

Son article « The Market for Lemons » paraît à un moment où les économistes s’ouvrent à des analyses plus réalistes et empiriques. Il participe à l’essor de ce que l’on appellera plus tard l’économie de l’information et l’économie comportementale, deux courants qui remettent en question les postulats classiques.

3. Principales idées et contributions

a) L’asymétrie d’information : "The Market for Lemons" (1970)

C’est la contribution la plus célèbre d’Akerlof. Il y montre qu’un marché peut disparaître ou dysfonctionner si les vendeurs en savent beaucoup plus que les acheteurs sur la qualité des produits.

Exemple : dans le marché des voitures d’occasion, les vendeurs savent si leur voiture est de bonne qualité ou si c’est une "lemon" (une voiture défectueuse). Les acheteurs, eux, ne peuvent pas faire la différence. Résultat : ils proposent un prix moyen. Les vendeurs honnêtes refusent de vendre à ce prix trop bas… ne restent alors que les mauvais produits. C’est le début de la sélection adverse.

Cette idée a profondément modifié la vision des économistes sur la confiance, la transparence et les risques de défaillance des marchés.

b) L’économie et les normes sociales

Dans plusieurs travaux, Akerlof a souligné que les comportements économiques sont influencés par des normes sociales et pas seulement par le calcul rationnel d’un profit. Il s’éloigne ainsi de la vision purement individualiste et utilitariste. Exemple : dans une entreprise, certains salariés travaillent plus ou moins intensément selon ce qu’ils pensent être "normal" ou "attendu" dans leur groupe, même si ce n’est pas optimal pour eux individuellement.

Il contribue ainsi à l’essor d’une sociologie économique, où la culture, les normes et les attentes collectives jouent un rôle dans les décisions.

c) Le rôle de la confiance dans l’économie

Akerlof a insisté sur le fait que les marchés ne peuvent fonctionner sans confiance. Lorsqu’elle disparaît (par exemple en cas de scandales, d’opacité ou de crise), les échanges ralentissent voire cessent.

Exemple : lors de la crise des subprimes (2008), les banques ont cessé de se prêter entre elles, faute de savoir si leurs partenaires étaient solvables. Le manque de transparence a paralysé le système.

Cette analyse fait d’Akerlof un pionnier dans la réflexion sur la fragilité des systèmes économiques, en cas de perte de repères ou de transparence.

d) L’économie comportementale (Behavioral Economics)

Akerlof a aussi montré que les individus ne se comportent pas toujours de façon rationnelle, mais qu’ils sont influencés par des émotions, des routines, des erreurs de jugement. Il a collaboré avec Robert Shiller pour approfondir ces recherches dans des ouvrages comme Animal Spirits (2009).

Exemple : des ménages peuvent refuser d’acheter un bien pourtant rentable, simplement par peur du changement, ou au contraire acheter de manière irrationnelle par effet de mode.

Cela a permis de mieux comprendre les cycles économiques, les bulles financières, ou encore les phénomènes de surconsommation.

4. Influence et postérité

L’œuvre de Georges Akerlof a profondément transformé la manière dont les économistes abordent les marchés et les comportements des agents économiques. Son influence est multiple, à la fois théorique, pratique, et institutionnelle.

a) Une rupture dans la théorie néoclassique

En montrant que l’asymétrie d’information pouvait mener à l’échec du marché, Akerlof a remis en cause l’idée que les marchés sont toujours efficaces lorsqu’ils sont laissés à eux-mêmes. Il a contribué à nuancer la vision libérale classique, et à souligner la nécessité de régulations ou d’institutions pour garantir la transparence.

Son approche a été reprise, développée et enrichie par Joseph Stiglitz et Michael Spence, avec qui il partage le Prix Nobel d’économie en 2001. Ce prix a consacré un nouveau champ de recherche : l’économie de l’information.

b) Une influence sur les politiques publiques

Les travaux d’Akerlof ont des applications concrètes en matière de régulation des marchés. Par exemple :

  • Les obligations d’information imposées aux vendeurs dans les marchés de biens (voitures, logement, alimentation…) s’inspirent directement de ses analyses.
  • Les politiques de lutte contre les asymétries (transparence bancaire, contrôle des médicaments, étiquetage…) reposent sur ses idées.
  • Il a aussi conseillé des institutions comme la Banque mondiale ou la Réserve fédérale américaine, où il a milité pour une meilleure prise en compte des facteurs psychologiques et sociaux dans les politiques économiques.

c) Une inspiration pour les sciences sociales

En intégrant les normes sociales, la confiance ou les comportements non rationnels dans ses modèles, Akerlof a contribué à rapprocher l’économie de la psychologie et de la sociologie. Il a ouvert la voie à des courants comme :

  • L’économie comportementale (avec Kahneman, Thaler, Shiller…),
  • La sociologie économique (où les réseaux, les valeurs et les normes influencent les échanges),
  • Les sciences cognitives appliquées à la décision économique.

d) Des idées toujours actuelles

Aujourd’hui, les réflexions d’Akerlof restent d’une grande actualité pour comprendre :

  • La crise de 2008, et la perte de confiance dans le système financier,
  • Les limites de certains marchés numériques (ex. : fausses évaluations en ligne, opacité des algorithmes),
  • Les défis liés à la régulation de l’information sur internet, aux arnaques ou à la désinformation économique.

5. À retenir

Georges Akerlof est un économiste américain né en 1940, prix Nobel en 2001, connu pour ses travaux sur l’information imparfaite et les comportements économiques non rationnels.

Il a démontré que l’asymétrie d’information (lorsqu’un acteur en sait plus qu’un autre sur un produit ou une situation) peut faire échouer un marché. Son article The Market for Lemons est une référence fondatrice.

Il a introduit l’idée que les normes sociales, la confiance et les émotions jouent un rôle essentiel dans les décisions économiques, au-delà des simples calculs rationnels.

Ses recherches ont donné naissance à l’économie de l’information et ont nourri l’économie comportementale et la sociologie économique.

Son influence est forte sur les politiques publiques modernes : régulation des marchés, obligation de transparence, lutte contre les déséquilibres d’information.

Ses idées restent très utilisées pour comprendre les crises financières, les défauts de transparence sur les marchés, ou les effets sociaux des décisions économiques.

6. Citations emblématiques

« Le marché peut fonctionner si, et seulement si, les acheteurs peuvent faire confiance aux vendeurs. »
Georges Akerlof, résumé de The Market for Lemons

Cette citation illustre bien le cœur de sa pensée : sans information fiable, la logique marchande s’effondre. Elle souligne que la confiance est une condition fondamentale de tout échange économique.

Autre citation marquante (coécrite avec Robert Shiller) :

« Les esprits animaux sont à l'origine de la majeure partie de l'activité économique. »
Animal Spirits, 2009

Ici, Akerlof remet en cause l’idée que les individus sont toujours rationnels. Il insiste sur l’impact des émotions, intuitions, peurs et espoirs sur les décisions économiques.

 

7. Pour aller plus loin – Exemples contemporains

Les idées de Georges Akerlof continuent d’éclairer des enjeux économiques très actuels, notamment à l’heure du numérique, des crises financières et de l'économie comportementale.

a. Plateformes numériques et asymétrie d’information

Sur des sites comme Vinted, Leboncoin ou Amazon Marketplace, les acheteurs n’ont pas toujours accès à une information fiable sur les produits. Pour compenser cette asymétrie, on utilise :

  • des évaluations (étoiles, commentaires),
  • des garanties de remboursement,
  • des systèmes de notation des vendeurs.

Ces mécanismes de réputation illustrent directement les solutions proposées par Akerlof pour éviter les effets pervers du type "lemons".

b. Crises de confiance et finance

La crise financière de 2008 a confirmé l’importance du rôle de la confiance. Les banques ont cessé de se prêter entre elles, car elles ignoraient l’état réel des bilans de leurs partenaires. Cela a provoqué un blocage des marchés interbancaires, illustrant parfaitement les effets destructeurs d’une perte d’information et de confiance.

Les politiques post-crise ont donc renforcé les règles de transparence financière (ex. : Bâle III, stress tests bancaires).

c. Santé, alimentation et information biaisée

Dans le domaine de la santé ou de l’alimentation, les consommateurs sont souvent mal informés. Pour éviter des effets de sélection adverse (produits nocifs ou trompeurs), les États imposent :

  • l’étiquetage nutritionnel,
  • la réglementation des médicaments,
  • des normes de qualité.

Ici encore, Akerlof nous aide à comprendre pourquoi les marchés ne peuvent pas s’autoréguler sans cadre clair.

d. Économie comportementale et politique publique

Les travaux d’Akerlof ont aussi inspiré la création de "nudge units" (cellules d’incitation comportementale), notamment au Royaume-Uni, en France ou dans les institutions européennes. Elles utilisent les mécanismes psychologiques pour aider les individus à prendre de meilleures décisions (ex. : pour l’épargne, la santé ou l’environnement).

Ces politiques ne visent pas à contraindre, mais à orienter les comportements en s’appuyant sur les biais cognitifs.

Ouvrages pour prolonger la réflexion :

  • The Market for Lemons (1970) – Article fondateur.
  • Animal Spirits (2009, avec Robert Shiller) – Sur le rôle des émotions dans l’économie.
  • Identity Economics (2010, avec Rachel Kranton) – Sur l’identité sociale et les décisions économiques.
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