Jeremy Bentham : l’utilitarisme au service du bien-être collectif

Jeremy Bentham : l’utilitarisme au service du bien-être collectif
Économie

Jeremy Bentham, penseur clé de l’utilitarisme, et comment son idée du « plus grand bonheur » façonne encore nos choix économiques et politiques.

1. Présentation générale

Nom complet : Jeremy Bentham
Dates : 15 février 1748 – 6 juin 1832
Nationalité : Britannique
Domaine : Philosophie morale, économie, droit et théorie politique.

Jeremy Bentham est l’un des fondateurs de l’utilitarisme, une doctrine morale et politique qui affirme que les décisions doivent viser « le plus grand bonheur du plus grand nombre ». Juriste et réformateur, il a appliqué cette idée à l’économie, au droit et aux institutions, cherchant à rationaliser les politiques publiques.

Sa pensée se distingue par une approche pragmatique et mesurable : évaluer les lois, les réformes ou les actions selon leurs conséquences concrètes sur le bien-être collectif. Pour les élèves de SES et du Baccalauréat International, Bentham est un auteur-passerelle entre philosophie morale et analyse économique, utile pour comprendre comment les valeurs influencent les choix économiques et politiques.

2. Contexte historique et intellectuel

Jeremy Bentham vit entre la seconde moitié du XVIIIᵉ siècle et le début du XIXᵉ siècle, une période marquée par des bouleversements profonds. Sur le plan économique, c’est l’époque de la première Révolution industrielle en Grande-Bretagne : mécanisation du textile, essor du charbon et de la sidérurgie, urbanisation rapide. Ces transformations stimulent la production, mais accentuent aussi les inégalités sociales et les problèmes sanitaires dans les villes.

Sur le plan social et politique, Bentham évolue dans un contexte d’expansion coloniale britannique et de tensions internationales liées aux guerres napoléoniennes. En Europe, les idées des Lumières circulent largement, mettant l’accent sur la raison, les droits naturels et la réforme des institutions. La Révolution française (1789) et ses idéaux de liberté et d’égalité marquent son époque, même si Bentham critique certains excès révolutionnaires au nom de la stabilité et de l’efficacité.

Les courants dominants dans lesquels s’inscrit Bentham sont multiples :

  • En philosophie morale, il s’oppose à l’éthique fondée sur la tradition ou la religion, au profit d’une morale conséquentialiste (juger une action à ses résultats).
  • En économie, il est contemporain des classiques (Adam Smith, David Ricardo) qui mettent en avant le marché comme mécanisme central d’allocation des ressources.
  • En droit et politique, il combat le droit coutumier et plaide pour des lois écrites, claires et fondées sur l’intérêt collectif.

Bentham occupe ainsi une position transversale : il partage avec les économistes classiques l’idée d’efficacité et de rationalité dans l’organisation sociale, mais il introduit un critère moral précis – la maximisation du bonheur collectif – comme boussole pour évaluer les institutions, là où les économistes de son temps se concentrent surtout sur la richesse et la production.

3. Principales idées et contributions

Version simple (accessible aux débutants)
Jeremy Bentham est surtout connu pour l’utilitarisme, l’idée que toute action ou loi doit être jugée selon une question : « Produit-elle plus de bonheur que de malheur pour la société ? »
Pour mesurer cela, il propose une forme de "calcul du bonheur" : évaluer l’intensité, la durée, la certitude et l’étendue du plaisir ou de la peine produits.

Version avancée (pour niveaux Première, Terminale et IB)
Bentham formalise ce qu’il appelle le principe d’utilité : une action est bonne si elle maximise la somme des satisfactions et minimise la somme des souffrances pour l’ensemble des individus concernés. Ce principe s’applique aussi bien aux décisions politiques qu’aux choix économiques.
Il conçoit un "hedonic calculus" (calcul hédoniste) qui cherche à quantifier le bien-être en fonction de sept critères : intensité, durée, certitude, proximité, fécondité, pureté, étendue.
Bentham insiste sur le fait que chaque individu compte de manière égale (« chacun compte pour un, personne pour plus d’un »), ce qui le rapproche de certains idéaux démocratiques.

Ouvrages majeurs

  • An Introduction to the Principles of Morals and Legislation (1789) : expose le principe d’utilité et la méthode du calcul hédoniste.
  • Panopticon (1791) : projet de prison permettant une surveillance totale, qui illustre sa volonté d’efficacité dans les institutions.
  • Écrits sur les réformes juridiques, l’éducation, et l’économie, toujours guidés par l’évaluation des conséquences.

Exemples concrets

  • Politique fiscale : pour Bentham, un impôt juste est celui qui minimise la souffrance économique tout en finançant des biens publics utiles au plus grand nombre.
  • Santé publique : la vaccination, si elle prévient plus de souffrances qu’elle ne cause d’effets négatifs, est moralement justifiable.
  • Législation pénale : les peines doivent être proportionnelles et conçues pour décourager les crimes, non pour se venger.

Lien direct avec programme SES / IB

  • SES – Seconde : Thème "Science économique et sociologie" → discuter du lien entre valeurs et choix économiques.
  • SES – Première : Chapitre "Comment se forment les prix sur un marché" et "Quelles sont les principales sources et défis de la croissance" → introduire la notion de bien-être collectif dans l’évaluation des politiques économiques.
  • SES – Terminale : Chapitre "Économie du développement durable" et "Politiques économiques dans l’UE" → Bentham permet d’aborder la notion de maximisation du bien-être et de choix collectifs rationnels.
  • IB Economics – SL et HL :
    • Microeconomics – Market failure → évaluer les interventions publiques selon leur impact sur le bien-être social.
    • Macroeconomics – Demand-side policies → analyser les effets des politiques budgétaires et monétaires sur la satisfaction collective.
    • Development Economics – Measuring development → discuter de la pertinence d’indicateurs de bien-être (IDH, indicateurs subjectifs) inspirés de la logique benthamienne.

Bentham sert ainsi de passerelle pédagogique pour comprendre comment un raisonnement moral peut être intégré dans l’analyse économique, et pourquoi l’évaluation des politiques ne se limite pas à mesurer la production ou la croissance.

4. Influence et postérité

Impact sur la pensée économique et sur les politiques publiques
Jeremy Bentham a marqué durablement la philosophie politique et l’économie par l’introduction d’un critère clair pour juger l’action publique : maximiser le bien-être collectif. Son utilitarisme a influencé la conception des politiques sociales, la réforme du droit pénal et civil, et l’idée que les lois doivent se fonder sur des critères rationnels et mesurables. En économie, sa pensée ouvre la voie aux approches modernes qui cherchent à mesurer la satisfaction ou le bien-être, préfigurant certaines notions de bien-être social utilisées aujourd’hui.

Influence sur d’autres auteurs ou courants
Bentham a inspiré directement John Stuart Mill, qui a affiné l’utilitarisme en distinguant les plaisirs de « qualité supérieure » (intellectuels, moraux) et ceux de « qualité inférieure » (physiques). Il influence aussi l’économie du bien-être développée au XXᵉ siècle par des économistes comme Vilfredo Pareto ou Arthur Pigou, qui cherchent à formaliser et quantifier l’utilité collective. Ses idées se retrouvent également dans les approches modernes de la cost-benefit analysis (analyse coûts-avantages) utilisées par les gouvernements et les organisations internationales pour évaluer les projets.

Débats et controverses
Bentham est critiqué pour avoir réduit les valeurs humaines à des calculs de plaisir et de peine, ce qui peut sembler réducteur et insensible à la dignité humaine ou aux droits inaliénables. Certains philosophes lui reprochent une vision trop quantitative du bonheur, incapable de prendre en compte la diversité et la complexité des aspirations humaines. Sur le plan politique, son projet du Panopticon est souvent cité comme un exemple inquiétant d’obsession pour l’efficacité au détriment des libertés individuelles.

Actualité de ses idées
Aujourd’hui, la pensée benthamienne reste centrale dans les discussions sur l’économie comportementale, la politique environnementale ou la santé publique. Les débats sur le bien-être national brut, le revenu universel, ou la tarification carbone s’appuient sur une logique proche de la sienne : mesurer et maximiser le bénéfice net pour la société. Dans le contexte du changement climatique, par exemple, un raisonnement utilitariste permet de justifier des mesures contraignantes si elles préviennent des dommages massifs pour les générations futures.

5. Applications contemporaines

Exemples récents en lien avec ses idées

  • Analyse coûts-avantages des politiques publiques : lorsqu’un gouvernement décide d’investir dans une ligne de train à grande vitesse, il calcule les gains (réduction du temps de trajet, baisse des émissions, développement économique) et les compare aux coûts (construction, entretien, impact environnemental). Cette approche est directement héritée du calcul utilitariste de Bentham.
  • Politiques de santé : pendant la pandémie de COVID-19, de nombreux pays ont justifié les confinements ou les campagnes vaccinales par l’idée que les bénéfices pour la santé publique dépassaient les inconvénients économiques et sociaux.
  • Transition écologique : les taxes carbone et les subventions aux énergies renouvelables s’appuient sur un raisonnement benthamien : supporter un coût aujourd’hui pour éviter des dommages plus importants demain.

Comparaison avec d’autres théories

  • Contrairement au libéralisme économique pur (inspiré d’Adam Smith), qui laisse le marché décider des choix optimaux, Bentham insiste sur le rôle actif de l’État pour corriger les situations où le marché ne maximise pas le bonheur collectif.
  • Par rapport à la théorie des droits naturels (John Locke), l’utilitarisme est moins centré sur les libertés inaliénables et davantage sur les conséquences mesurables.
  • Face à la vision marxiste, Bentham ne remet pas en cause le capitalisme comme système, mais cherche à l’améliorer par des lois et institutions qui maximisent le bien-être.

6. Limites et critiques

Critiques contemporaines à l’époque
De son vivant, Jeremy Bentham a été perçu par certains comme un penseur radical, trop en rupture avec les traditions morales et juridiques. Les défenseurs du droit coutumier et des institutions héritées craignaient que sa volonté de tout mesurer en termes d’utilité conduise à ignorer des principes fondamentaux comme la justice ou la liberté individuelle. Son projet de Panopticon, bien qu’innovant en matière de surveillance et d’efficacité, a suscité des inquiétudes sur un possible contrôle excessif des citoyens par l’État.

Critiques modernes
Aujourd’hui, l’utilitarisme benthamien est souvent jugé réducteur car il réduit le bien-être à une addition de plaisirs et de peines mesurables. Plusieurs critiques reviennent régulièrement :

  • Problème de la mesure : le « calcul hédoniste » est difficile à appliquer dans la réalité, car le bonheur et la souffrance sont subjectifs et varient selon les individus et les cultures.
  • Tyrannie de la majorité : une décision qui maximise le bonheur global peut léser gravement une minorité. Par exemple, sacrifier les intérêts de quelques-uns pour améliorer le bien-être de la majorité peut être moralement inacceptable.
  • Absence de prise en compte qualitative : contrairement à John Stuart Mill, Bentham ne distingue pas entre des plaisirs de nature différente (culturels, intellectuels, matériels), ce qui peut conduire à traiter tous les gains de manière équivalente, même s’ils n’ont pas la même valeur morale ou sociale.
  • Risques politiques : une application rigide pourrait justifier des politiques intrusives ou liberticides au nom du bien-être collectif, comme dans certaines législations de santé publique ou de sécurité.

Limites d’application
Dans un contexte économique et politique complexe, l’utilitarisme benthamien doit souvent être complété par d’autres approches, comme la défense des droits fondamentaux ou la recherche d’équité. Les économistes et décideurs publics utilisent parfois son raisonnement comme outil d’évaluation, mais rarement comme unique boussole pour décider.

7. À retenir (synthèse finale)

Points-clés

  1. Jeremy Bentham est le fondateur de l’utilitarisme : juger les actions selon leurs conséquences sur le bonheur collectif.
  2. Il propose un calcul hédoniste pour mesurer plaisir et peine, et orienter les décisions publiques.
  3. Ses idées influencent la réforme du droit, les politiques publiques et l’économie du bien-être.
  4. Ses approches restent utilisées dans l’analyse coûts-avantages des projets publics.
  5. Sa vision est critiquée pour sa simplification excessive du bonheur et ses risques pour les libertés individuelles.

Termes importants à connaître

  • Principe d’utilité : agir pour maximiser le bonheur et minimiser la souffrance.
  • Calcul hédoniste : méthode d’évaluation des plaisirs et peines générés par une action.
  • Conséquentialisme : doctrine morale jugeant les actes à leurs résultats.
  • Économie du bien-être : branche de l’économie qui évalue les politiques en fonction de leur impact sur le bien-être social.

8. Citations emblématiques

  1. « Le plus grand bonheur du plus grand nombre est la mesure du bien et du mal. »
    Source : An Introduction to the Principles of Morals and Legislation (1789), chapitre I.
    Contexte : cette formule résume le principe d’utilité, fondement de l’utilitarisme benthamien. Bentham y expose que toute action ou loi doit être évaluée selon sa capacité à maximiser le bonheur global et à réduire la souffrance.
  2. « Chacun compte pour un, et personne pour plus d’un. »
    Source : Attribution courante à Bentham dans les interprétations de son utilitarisme, reprise notamment par John Stuart Mill (Utilitarianism, 1861).
    Contexte : ce principe d’égalité de considération est implicite dans l’œuvre de Bentham : chaque individu doit être pris en compte de manière égale dans le calcul du bien-être collectif, sans privilège ni discrimination.
  3. « La question n’est pas : peuvent-ils raisonner ? Ni : peuvent-ils parler ? Mais : peuvent-ils souffrir ? »
    Source : An Introduction to the Principles of Morals and Legislation (1789), chapitre XVII, note de bas de page sur les animaux.
    Contexte : Bentham élargit ici l’utilitarisme aux animaux, considérant la capacité à souffrir comme critère moral central. C’est une idée précurseure dans les débats contemporains sur le bien-être animal et l’éthique environnementale.

 

10. Pour aller plus loin

Ouvrages de Bentham

  • An Introduction to the Principles of Morals and Legislation (1789) – Présentation complète du principe d’utilité et du calcul hédoniste.
  • Panopticon (1791) – Projet architectural et institutionnel pour une prison basée sur la surveillance permanente.
  • Deontology, or the Science of Morality (publié à titre posthume en 1834) – Développement de sa réflexion sur la morale appliquée.

Ouvrages et ressources sur Bentham

  • Burns, J. H., Bentham and the Ethics of Today – Analyse de la pertinence contemporaine de l’utilitarisme.
  • Crimmins, James E., Utilitarian Philosophy and Politics: Bentham's Later Years – Approfondissement de son impact politique.
  • University College London – Bentham Project : archives, correspondances et manuscrits numérisés.

Ressources pédagogiques

  • SEP (Stanford Encyclopedia of Philosophy), article « Jeremy Bentham » – Présentation universitaire de référence.
  • BBC In Our Time – Podcast « Utilitarianism » avec discussion sur Bentham et Mill.
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