Jean Fourastié

Jean Fourastié
Penseurs

Jean Fourastié, économiste visionnaire, a montré comment le progrès technique a transformé la vie quotidienne, multiplié le pouvoir d’achat…

1. Présentation générale

Jean Fourastié est un économiste, essayiste et haut fonctionnaire français, né le 15 avril 1907 à Saint-Benin-d’Azy, un village situé dans le département de la Nièvre, en Bourgogne. Il est mort le 25 juillet 1990 à Douelle, dans le Lot.

Issu d’un milieu modeste, il fait des études brillantes qui le conduisent à l’École libre des sciences politiques, puis à l’École nationale d’administration, où il se forme aux questions économiques et administratives.

Il est surtout connu pour avoir popularisé l’expression « Les Trente Glorieuses », qui désigne la période de croissance rapide et de modernisation de l’économie française et européenne entre 1945 et 1975.

Tout au long de sa carrière, il occupe plusieurs postes importants :

¾      Inspecteur des finances,

¾      Conseiller économique,

¾      Directeur d’études à l’École pratique des hautes études,

¾      Professeur au Conservatoire national des arts et métiers.

Jean Fourastié a consacré sa vie à comprendre comment les sociétés se modernisent, comment le progrès technique et les gains de productivité transforment la vie quotidienne, et comment l’économie se structure après les grandes guerres.

Son approche se distingue par un optimisme raisonné : il croyait que le progrès économique pouvait libérer l’humanité de la pauvreté matérielle, tout en reconnaissant les limites et les risques d’un développement trop rapide.

 

2. Contexte historique et intellectuel

Après la Seconde Guerre mondiale, la France est un pays à reconstruire. Ses villes, ses usines et ses voies de communication ont été gravement détruites. L’économie est affaiblie, la production industrielle est inférieure de moitié à celle d’avant-guerre et le moral de la population est éprouvé par cinq années d’occupation.

Mais dès 1945, plusieurs facteurs vont permettre une reprise rapide et spectaculaire :

¾      Le Plan Marshall (1948) : ce programme américain d’aide financière et matérielle apporte des milliards de dollars qui servent à acheter des machines, des matières premières et à financer la modernisation.

¾      L’industrialisation accélérée : l’État planifie et soutient le redéploiement de secteurs stratégiques comme l’énergie, la sidérurgie, l’automobile et la chimie.

¾      La mécanisation de l’agriculture : les tracteurs remplacent le travail manuel, la productivité agricole augmente, libérant de la main-d’œuvre pour l’industrie et les services.

¾      Le développement des infrastructures : routes, autoroutes, barrages hydroélectriques, réseaux téléphoniques sont modernisés pour soutenir la production et le commerce.

¾      La montée du pouvoir d’achat et la société de consommation : les salaires progressent, et les ménages s’équipent en biens qui transforment leur vie quotidienne (électroménager, voiture, télévision).

Entre 1945 et 1975, le produit intérieur brut (PIB) français croît en moyenne de 5 à 7 % par an, un rythme encore jamais connu auparavant. Ce phénomène est si spectaculaire que Jean Fourastié parle d’une « révolution invisible » : la transformation économique se fait sans bouleversement politique majeur, sans violence, mais elle change profondément les modes de vie.

La France passe alors d’une société agricole à une société urbaine, industrielle et de consommation. Le confort matériel progresse à un rythme fulgurant. Par exemple :

  • Le nombre de réfrigérateurs passe de moins de 10 % des foyers en 1950 à plus de 80 % en 1970.
  • La durée de travail hebdomadaire diminue, laissant plus de temps libre aux Français.
  • Les services (santé, éducation, loisirs) se développent fortement.

Jean Fourastié observe ces transformations avec un regard à la fois enthousiaste et lucide :

  • Enthousiaste, parce qu’il y voit la preuve que le progrès technique peut apporter l’abondance et améliorer la condition humaine.
  • Lucide, car il comprend que cette prospérité ne pourra pas durer éternellement : une fois les ménages équipés, la consommation ne peut plus croître au même rythme. Il pressent que la recherche permanente de gains de productivité conduira à de nouvelles difficultés, comme le chômage structurel et des déséquilibres sociaux.

Il souligne aussi que cette croissance rapide repose sur une exploitation massive des ressources naturelles et sur des choix technologiques qui, à long terme, poseront des questions environnementales.

En ce sens, Jean Fourastié est l’un des premiers économistes français à avoir réfléchi de façon globale aux conséquences économiques, sociales et écologiques du progrès technique.

 

3. Les principales idées et contributions

a) La notion des Trente Glorieuses

Dans son ouvrage majeur Les Trente Glorieuses, ou la révolution invisible de 1946 à 1975 (paru en 1979), Jean Fourastié décrit avec précision cette période exceptionnelle de l’histoire économique française et européenne.

Il montre comment, en l’espace de trente ans, la société est passée :

¾      de la pauvreté et des pénuries de l’après-guerre,

¾      à une société d’abondance et de consommation de masse,

¾      avec des progrès remarquables dans la santé, l’éducation, l’équipement des ménages et l’espérance de vie.

Il emploie l’expression « révolution invisible » parce que cette transformation ne s’est pas faite par une guerre, une révolution politique ou une crise brutale : elle a eu lieu de façon progressive, presque silencieuse, grâce au progrès technique, aux gains de productivité, et à l’organisation économique.

Selon lui, ces décennies ont permis de :

¾      doubler le niveau de vie moyen,

¾      réduire considérablement la part de la population vivant dans la pauvreté,

¾      transformer les modes de vie (alimentation, loisirs, mobilité).

Jean Fourastié insiste sur le fait que ces évolutions étaient inédites par leur ampleur et leur rapidité, et qu’elles constituent l’un des plus grands bouleversements de l’histoire économique moderne.

b) La dynamique de la consommation

Jean Fourastié explique que la consommation suit un cycle en deux grandes phases :

  1. La phase d’équipement initial
    Dans un premier temps, les ménages consacrent une part importante de leur revenu à l’achat des biens essentiels qui leur manquaient jusque-là. Dans la France des années 1950-1960, cela signifie :

·         équiper le logement d’un réfrigérateur, d’une machine à laver, d’une cuisinière moderne,

·         acheter une voiture individuelle,

·         installer le chauffage central,

·         accéder aux loisirs et aux vacances.

Cette phase génère une forte demande qui stimule l’industrie, l’emploi et la croissance.

  1. La phase de renouvellement
    Une fois que la plupart des ménages possèdent ces équipements, la dynamique change. Les achats deviennent principalement des remplacements ou des améliorations (par exemple : changer un réfrigérateur en état de marche pour un modèle plus performant ou esthétique).

Dans cette deuxième phase :

·         la consommation progresse plus lentement,

·         l’économie ne bénéficie plus du même effet de rattrapage,

·         la croissance repose davantage sur l’innovation et la création de nouveaux besoins.

Pour illustrer ce phénomène, Fourastié prenait déjà l’exemple du téléphone portable : quand tous les foyers sont équipés, la croissance du marché dépend uniquement de la vitesse de renouvellement des appareils ou de l’apparition de nouvelles fonctionnalités qui incitent les consommateurs à changer plus souvent.

Cette observation est aujourd’hui encore plus pertinente : dans les économies développées, une grande partie de la consommation concerne le renouvellement (smartphones, voitures, électroménager) et non l’équipement initial.

Fourastié montre ainsi que le ralentissement progressif de la croissance est un phénomène normal, lié à la saturation relative des marchés et à l’évolution des besoins.

c) Le lien entre productivité et pouvoir d’achat

Jean Fourastié insiste sur une idée centrale de sa pensée :

Les gains de productivité sont la principale source durable d’augmentation du pouvoir d’achat et de progrès social.

Qu’est-ce que la productivité ?
La productivité mesure l’efficacité avec laquelle on produit des biens et des services. Elle se calcule, par exemple, en comparant la quantité produite avec le nombre d’heures de travail nécessaires.

Fourastié explique que, lorsque les entreprises deviennent plus productives grâce à :

¾      une meilleure organisation du travail,

¾      la mécanisation et l’automatisation,

¾      l’innovation technologique,
elles parviennent à produire plus vite et à moindre coût.

Pourquoi cela fait-il baisser les prix réels ?
Si un produit demande deux fois moins de temps de travail qu’avant, il devient moins cher en valeur réelle, même si son prix affiché augmente légèrement avec l’inflation.

Fourastié donne l’exemple de l’électricité :

¾      En 1925, il fallait beaucoup de main-d’œuvre et d’équipements coûteux pour produire 1 kilowattheure.

¾      En 1970, les centrales modernes permettent de produire la même quantité d’électricité en consommant beaucoup moins de ressources et de travail humain.

¾      Résultat : le coût réel de l’électricité pour le consommateur a chuté.

Ce mécanisme est valable pour de nombreux biens industriels, comme :

¾      les vêtements fabriqués en série,

¾      les appareils électroménagers,

¾      les voitures.

Conséquence majeure : la part du revenu consacrée à ces biens diminue progressivement, ce qui libère du pouvoir d’achat pour d’autres usages (loisirs, éducation, santé).

Fourastié souligne que cette dynamique explique en grande partie l’élévation du niveau de vie pendant les Trente Glorieuses.

En revanche, dans les services peu mécanisables (comme la coiffure, le soin aux personnes âgées, l’éducation), la productivité progresse peu : les coûts augmentent donc relativement plus vite, et leur « prix réel » peut même croître.

d) La mesure du « prix réel »

Pour comprendre l’évolution du coût de la vie et du pouvoir d’achat sur plusieurs décennies, Jean Fourastié propose un indicateur original et simple :

Le prix réel d’un produit, c’est le temps de travail qu’il faut pour pouvoir l’acheter.

Pourquoi cette mesure ?
Parce qu’elle permet de comparer les époques en neutralisant :

¾      les hausses de prix sectorielles, c’est-à-dire le fait que certains produits augmentent plus vite que d’autres (par exemple, les loyers ou les soins médicaux),

¾      l’évolution des salaires, qui ne progresse pas toujours au même rythme que les prix.

Comment cela fonctionne concrètement ?
On calcule combien d’heures de travail un salarié doit effectuer pour acheter un bien donné.
Si, au fil du temps, le nombre d’heures nécessaires diminue, cela signifie que le produit est devenu « moins cher » en réalité, même si son prix affiché en euros a augmenté.

Exemple expliqué pas à pas
Prenons l’exemple d’un réfrigérateur :

¾      En 1950, un ouvrier devait peut-être travailler 3 semaines pour pouvoir l’acheter.

¾      En 1970, avec la hausse des salaires et la baisse des coûts de production, il ne fallait plus que 5 jours de travail.

¾      Aujourd’hui, il suffit parfois d’une journée ou moins.

Donc le réfrigérateur coûte moins de temps de travail, c’est-à-dire moins de richesse réelle.

Autre exemple contrasté
Pour la coupe de cheveux, il n’y a pas eu de gain de productivité spectaculaire :

¾      Un coiffeur met toujours environ 30 minutes par client,

¾      Le coût de la prestation dépend surtout du salaire et des charges.
Résultat : la coupe de cheveux coûte aujourd’hui autant ou plus de temps de travail qu’avant, son « prix réel » n’a pas baissé.

Pourquoi cet indicateur est utile ?
Il permet de comparer de façon juste l’évolution du pouvoir d’achat, sans être trompé par l’inflation ni par les moyennes globales.

Jean Fourastié considérait que cette mesure apportait une vision objective et concrète du progrès économique.

e) Les limites de la croissance

Jean Fourastié ne se contentait pas de célébrer les progrès spectaculaires de la production et de la consommation. Il avait aussi une vision lucide et parfois inquiète sur l’avenir.

Dès les années 1960-1970, il anticipait plusieurs limites majeures de cette croissance rapide :

  1. La saturation relative des marchés
    Quand la majorité des ménages est équipée de biens essentiels (réfrigérateur, voiture, télévision), la consommation ne peut plus croître au même rythme qu’avant.
    Fourastié montrait que cette saturation entraîne :

·         un ralentissement mécanique de la production industrielle,

·         une dépendance accrue à l’innovation et au marketing pour stimuler la demande (nouveaux modèles, obsolescence programmée).
Ce phénomène est visible aujourd’hui : dans beaucoup de pays développés, la croissance repose surtout sur le renouvellement et non sur l’équipement initial.

       ii.            Le risque de chômage de masse
Il expliquait que les gains de productivité permettent de produire autant, voire plus, avec moins de travailleurs.
Dans la première phase de croissance, la demande augmente tellement qu’elle compense ces effets : on a besoin de main-d’œuvre dans les usines et les services.
Mais quand la consommation ralentit, le progrès technique peut aboutir à :

·         des suppressions d’emplois industriels,

·         un chômage persistant et structurel.
Fourastié voyait dans cette évolution une contradiction du progrès : la richesse globale augmente, mais le travail humain devient moins nécessaire, ce qui peut fragiliser la cohésion sociale.

     iii.            L’impact écologique
Enfin, il est l’un des premiers économistes français à souligner que cette production de masse entraîne :

·         une consommation accrue de ressources naturelles (énergie, matières premières),

·         des pollutions diverses (air, eau, sols),

·         des risques pour la santé et l’environnement.
Même si les préoccupations environnementales étaient moins présentes à son époque, Fourastié comprenait déjà que le modèle de croissance devait être repensé à long terme pour être compatible avec la protection de la planète.

Ces constats sont aujourd’hui très actuels, car ils annoncent :

¾      les débats sur la transition écologique,

¾      les questions sur l’automatisation et l’intelligence artificielle,

¾      les discussions sur la « croissance durable » ou la « décroissance ».

En ce sens, Jean Fourastié a eu une vision précurseur des défis que rencontrent aujourd’hui les sociétés industrialisées.

 

4. Influence et postérité

Jean Fourastié n’est pas considéré comme un grand théoricien international de l’économie, au même titre que Keynes, Marx ou Friedman, dont les idées ont inspiré des écoles de pensée entières et ont profondément structuré la science économique mondiale.

Cependant, en France, son œuvre a eu un impact profond et durable, à plusieurs niveaux :

¾      Les décideurs publics
Ses analyses et prévisions ont influencé de nombreux responsables politiques et hauts fonctionnaires pendant les Trente Glorieuses et au-delà. Son approche montrait que l’État devait accompagner la modernisation économique (infrastructures, formation, productivité) tout en anticipant ses limites sociales et écologiques.
Par exemple, ses réflexions ont nourri les politiques de planification économique, comme celles du Commissariat général au Plan.

¾      Les réflexions sur le progrès économique
Fourastié a contribué à ancrer dans la culture française l’idée que le progrès technique est une chance pour l’humanité, car il permet de réduire la pauvreté et d’améliorer les conditions de vie.
Son expression « révolution invisible » est devenue célèbre, car elle résume la transformation silencieuse des sociétés modernes : un changement plus profond qu’il n’y paraît au quotidien.

¾      Les débats sur la place de l’État dans l’économie
Ses travaux ont conforté l’idée qu’un État stratège pouvait aider à orienter la croissance, à investir dans la recherche, à former les travailleurs et à organiser la solidarité nationale.
Dans les années 1960 et 1970, cette vision moderniste et volontariste s’est largement imposée en France.

Fourastié a ainsi inspiré une vision optimiste et rationnelle du développement :

Il fallait moderniser la France, diffuser le progrès technique, élever le niveau d’instruction et généraliser les biens de consommation pour construire une société plus prospère et plus juste.

Même si certaines de ses analyses ont vieilli (notamment sur la consommation illimitée), beaucoup de ses idées restent d’actualité :

¾      la mesure du progrès par le pouvoir d’achat réel,

¾      la prise en compte des effets sociaux et environnementaux de la croissance,

¾      la nécessité d’adapter les modèles économiques aux nouvelles réalités technologiques.

En ce sens, Jean Fourastié appartient au cercle des penseurs français qui ont façonné la façon dont on perçoit la modernisation et la transformation économique au XXᵉ siècle.

 


 

5. À retenir (synthèse)

Jean Fourastié (1907-1990) est un économiste et haut fonctionnaire français.

Il est célèbre pour avoir inventé l’expression « Les Trente Glorieuses », période de forte croissance économique en France entre 1945 et 1975, marquée par l’industrialisation, l’élévation du niveau de vie et la modernisation du pays.

Il explique que la croissance suit deux phases :

  • L’équipement initial des ménages (on achète ce qu’on n’avait pas),
  • Puis le renouvellement, qui entraîne un ralentissement de la consommation. Comme aujourd’hui avec les smartphones : tout le monde en a, donc la consommation dépend surtout du remplacement des anciens modèles.

Il insiste sur le rôle essentiel des gains de productivité : produire plus vite et moins cher fait baisser le coût réel des biens et augmente le pouvoir d’achat.

Pour comparer les prix dans le temps, il propose un indicateur original :

Le temps de travail nécessaire pour acheter un produit.

Fourastié avait anticipé plusieurs limites :

  • La saturation des marchés (tout le monde est équipé), comme aujourd’hui pour les voitures (le marché du neuf ralentit car les ménages sont déjà équipés),
  • Le chômage de masse lié aux gains de productivité, robotisation, IA,
  • Les risques écologiques de la production de masse.

Son œuvre a beaucoup influencé les responsables politiques français, en défendant une vision optimiste : moderniser l’économie pour améliorer la vie des gens, mais en restant attentif aux conséquences sociales et environnementales.

 


 

6. Illustration schématique (exemple)

 

7. Citation emblématique

« La révolution la plus importante du XXe siècle est celle qui a permis à l’homme ordinaire de se libérer peu à peu de la misère matérielle. »

 

Commentaires des utilisateurs

Aucun commentaire publié pour le moment.

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.
🔎 Filtrer les produits