Nicolaï Kondratieff

Nicolaï Kondratieff
Penseurs

Découvrez l’économiste qui a osé prédire que la croissance n’est jamais éternelle. De l’essor industriel à la crise, plongez dans les cycles longs de Kondratieff

1. Présentation générale

Nicolaï Dimitrievitch Kondratieff est un économiste russe né le 4 mars 1892 dans le village de Galuevka, situé dans la province de Kostroma, en Russie, et mort exécuté le 17 septembre 1938 à Moscou, pendant les Grandes Purges staliniennes.

Issu d’une famille paysanne modeste, il parvient grâce à son mérite à intégrer l’Université de Saint-Pétersbourg, où il se spécialise en économie et en statistique.

Après la Révolution d’Octobre 1917, Kondratieff occupe plusieurs fonctions dans l’administration économique soviétique. Il fonde notamment l’Institut de Conjoncture de Moscou, une institution pionnière consacrée à l’étude des cycles économiques et des prévisions à long terme.

Ses travaux portent principalement sur :

  • L’analyse statistique de l’économie (production, prix, commerce),
  • Les cycles longs dans l’activité économique,
  • L’agriculture et la planification.

Il est surtout connu pour avoir formulé la théorie des « cycles de Kondratieff », de longs cycles d’environ 40 à 60 ans, qui alternent des phases de croissance et de dépression économique. Cette idée reste aujourd’hui associée à son nom et fait de lui l’un des premiers économistes à proposer une lecture cyclique de l’histoire économique mondiale.

2. Contexte historique et intellectuel

Nicolaï Kondratieff a vécu dans une période particulièrement tourmentée de l’histoire de la Russie et du monde.

La Russie impériale en crise
Au moment de sa naissance, l’Empire russe est encore marqué par :

  • Une économie principalement agricole et peu industrialisée,
  • De fortes inégalités sociales,
  • Des tensions politiques qui mèneront à la Révolution de 1905, puis à la Révolution de 1917.

La Révolution bolchevique et la guerre civile
En 1917, la Révolution d’Octobre renverse le régime tsariste et instaure un gouvernement communiste. Entre 1917 et 1922, la guerre civile russe oppose les bolcheviks (rouges) aux forces contre-révolutionnaires (blancs), causant des millions de morts et d’importantes destructions économiques.

La période de la NEP (Nouvelle Politique Économique)
Pour relancer l’économie exsangue, Lénine met en place en 1921 la NEP, une politique plus pragmatique autorisant un certain retour de la propriété privée et du marché. C’est durant cette période que Kondratieff développe ses recherches, bénéficiant d’un climat intellectuel un peu plus ouvert.

L’internationalisation des échanges et la crise mondiale
Sur le plan mondial, Kondratieff observe :

  • La première mondialisation des échanges (fin XIXe - début XXe siècle),
  • Les cycles d’expansion industrielle en Europe et aux États-Unis,
  • L’importance croissante des innovations technologiques (électricité, automobile, chimie).

Les débuts de la planification économique
En URSS, l’idée de planifier scientifiquement la production gagne en influence. Kondratieff fonde l’Institut de Conjoncture précisément pour fournir des données objectives et anticiper les fluctuations économiques.

Les Grandes Purges
Quand Staline prend le pouvoir absolu à partir de la fin des années 1920, le climat change brutalement. Toute recherche qui peut sembler critique envers la planification étatique devient suspecte. La thèse de Kondratieff sur les cycles longs (qui implique des périodes inévitables de déclin économique) est perçue comme politiquement dangereuse. Il est arrêté en 1930, emprisonné et finalement exécuté en 1938.

Impact sur sa pensée
Les bouleversements politiques et économiques, la transformation rapide de la société russe, et l’observation des crises mondiales nourrissent son intérêt pour l’étude des rythmes longs de l’économie et la recherche de lois cycliques qui permettraient de prévoir et peut-être d’atténuer ces crises.

 

3. Principales idées et contributions

a) La théorie des cycles longs (les « cycles de Kondratieff »)

Explication simple :
Kondratieff propose que l’économie mondiale ne se développe pas de manière linéaire, mais selon de longs cycles d’environ 40 à 60 ans, alternant des phases d’expansion et de dépression.
Chaque cycle est déclenché par des grandes innovations technologiques qui stimulent l’investissement et la production, avant de connaître un ralentissement puis un repli prolongé.

Exemple concret :

  • Phase ascendante : fin du XIXe siècle, industrialisation rapide grâce au chemin de fer et à l’électricité.
  • Phase descendante : crise des années 1920-1930.

Impact :
Cette idée a marqué la pensée économique en suggérant que les crises ne sont pas de simples accidents, mais des phénomènes structurels et prévisibles.

 

b) L’importance de l’innovation et des technologies

Explication simple :
Selon Kondratieff, l’arrivée de nouvelles technologies (énergie, transports, communications) crée un cycle d’investissement massif, qui entraîne la croissance.
Quand ces innovations sont diffusées et banalisées, la croissance ralentit.

Exemple contemporain :
Le développement d’internet dans les années 1990-2000 a créé une phase de croissance technologique comparable à un « cycle long ».

Impact :
Cette idée inspire encore aujourd’hui les économistes qui analysent les vagues d’innovation (numérique, intelligence artificielle, énergies renouvelables).

 

c) La nécessité d’études statistiques rigoureuses

Explication simple :
Kondratieff insiste sur l’importance d’observer les données sur plusieurs décennies pour comprendre les tendances profondes, au lieu de se limiter aux fluctuations annuelles.

Exemple concret :
Il a utilisé des séries longues de prix agricoles, de production industrielle et de commerce mondial pour étayer sa théorie.

Impact :
Cette démarche a contribué à poser les bases de l’analyse des cycles économiques, toujours utilisée aujourd’hui en macroéconomie et en prévision.

 

d) L’idée que les cycles sont inévitables

Explication simple :
Contrairement à la vision marxiste dominante en URSS, Kondratieff estimait qu’aucun système économique (même le socialisme) ne pouvait abolir les cycles.
Les expansions et les récessions sont liées à des phénomènes de long terme, comme l’épuisement des innovations et la saturation des marchés.

Exemple concret :
Même les pays communistes ont connu des ralentissements économiques, confirmant en partie ses observations.

Impact :
C’est cette thèse qui a provoqué la méfiance des autorités soviétiques et conduit à sa disgrâce.

 

e) La dimension mondiale des cycles

Explication simple :
Kondratieff affirme que les cycles sont internationaux : ils affectent simultanément plusieurs pays, car les économies sont interconnectées par le commerce et les investissements.

Exemple concret :
La Grande Dépression des années 1930 a touché l’Europe, l’Amérique et l’Asie.

Impact :
Cette approche globale est précurseur des analyses contemporaines de la mondialisation et de la synchronisation des crises.

 

f) La structure interne des cycles longs et leur articulation avec les cycles courts

Explication simple :
Kondratieff a montré que chaque cycle long n’était pas uniforme, mais se divisait en plusieurs phases :
1️ Phase d’expansion (environ 20 à 25 ans)

  • Forte croissance économique.
  • Diffusion rapide d’innovations majeures (par exemple, la machine à vapeur, l’électricité, l’informatique).

2️ Phase de retournement

  • Court ralentissement de la conjoncture.
  • Les premiers signes de saturation apparaissent (baisse de rentabilité, surproduction).

3️ Phase de dépression (environ 20 à 25 ans)

  • Stagnation ou baisse de l’activité.
  • Chômage élevé, faible investissement.
  • Préparation des innovations futures qui relanceront un nouveau cycle.

Exemple concret :
Le cycle commencé vers 1896 avec l’essor de l’électricité et de la chimie fine se termine par la Grande Dépression des années 1930.

Les cycles courts qui se superposent :
Pendant ces cycles longs, Kondratieff et d’autres économistes ont observé l’existence de cycles plus courts (d’environ 10 ans), appelés cycles des affaires ou cycles Juglar, qui provoquent :

  • Des récessions ponctuelles même au sein d’une phase d’expansion,
  • Des rebonds temporaires dans une phase de dépression.

Ces fluctuations plus brèves n’annulent pas le mouvement de fond des cycles longs.

Le caractère empirique de sa découverte :
Kondratieff n’a pas construit sa théorie sur des hypothèses abstraites :

  • Il a collecté et analysé les données des prix, de la production et des échanges commerciaux en France, Grande-Bretagne, Allemagne et États-Unis, de 1770 à 1920.
  • Il a constaté la régularité de ces grands mouvements dans plusieurs pays industrialisés.

L’interprétation théorique de Schumpeter :
C’est l’économiste Joseph Schumpeter qui a popularisé et enrichi ses travaux en y apportant une explication :

  • Selon Schumpeter, ces cycles longs résultent de vagues d’innovations radicales, qui entraînent une phase d’expansion puis, une fois leur potentiel épuisé, une phase de dépression.
  • Il appelle ce processus la destruction créatrice, où les anciennes industries disparaissent pour laisser place aux nouvelles.

Impact :
Ces apports ont renforcé l’importance de Kondratieff dans l’histoire de la pensée économique et ont fait de ses cycles un outil d’analyse toujours discuté aujourd’hui.

 

4. Influence et postérité

Sur les politiques publiques et la société
À son époque, les idées de Kondratieff ont eu peu d’influence sur les politiques soviétiques. Ses travaux étaient jugés suspects car ils remettaient en cause la doctrine officielle selon laquelle le socialisme éliminerait les crises.
En revanche, après sa mort, sa théorie a trouvé un large écho dans les pays occidentaux, notamment parmi les économistes et les prévisionnistes cherchant à comprendre les cycles économiques de long terme.

Sur d’autres auteurs et écoles de pensée
Ses travaux ont inspiré de nombreux chercheurs et théoriciens :

  • Joseph Schumpeter, qui s’est appuyé sur les cycles de Kondratieff pour développer sa propre théorie des cycles économiques fondés sur l’innovation et la « destruction créatrice ».
  • Les économistes de la School of Long Waves, qui étudient encore aujourd’hui l’influence des grandes vagues technologiques sur la croissance.
  • Les chercheurs en prospective économique, qui s’efforcent d’anticiper les phases ascendantes et descendantes des cycles mondiaux.

Actualité de ses idées aujourd’hui
Les cycles de Kondratieff sont toujours cités pour analyser :

  • L’essor et le ralentissement des grandes révolutions industrielles (chemin de fer, électricité, informatique, numérique).
  • Les crises systémiques comme celle de 1929 ou de 2008, qui apparaissent comme des moments de transition entre deux cycles.
  • Les perspectives d’un nouveau cycle long porté par les énergies renouvelables et les technologies vertes.

Si sa théorie n’est pas acceptée par tous les économistes (certains contestent la régularité et la prévisibilité des cycles), elle reste une référence majeure pour réfléchir aux dynamiques de long terme dans l’économie mondiale.

 

5. À retenir (synthèse)

Nicolaï Kondratieff (1892-1938) est un économiste russe spécialiste des cycles économiques de longue durée.

Il est connu pour avoir développé la théorie des « cycles de Kondratieff », de longs cycles de 40 à 60 ans alternant croissance et dépression.

Il a montré que ces cycles sont liés à l’émergence et à la diffusion des grandes innovations technologiques (ex. électricité, chemins de fer, informatique).

Selon lui, ces cycles sont inévitables, quel que soit le système économique, car ils dépendent de tendances profondes (innovation, investissement, saturation des marchés).

Ses recherches reposaient sur des études statistiques rigoureuses des données économiques sur plusieurs décennies.

Ses idées ont été mal vues en URSS et ont conduit à sa disgrâce et à son exécution lors des purges staliniennes.

Elles ont ensuite influencé de nombreux économistes occidentaux, notamment Schumpeter et les théoriciens de la croissance et de l’innovation.

Aujourd’hui, ses travaux continuent d’inspirer les réflexions sur les cycles économiques mondiaux et les grandes vagues technologiques.

 

6. Illustration schématique

 

 

 

7. Citation emblématique

« Le mouvement de l’économie est régi non seulement par des causes immédiates, mais aussi par des causes profondes qui se manifestent dans les grands cycles de l’histoire économique. »
Source : The Long Waves in Economic Life (1925), traduction anglaise de l’article original publié dans Voprosy Koniunktury.

« Aucun système économique, fût-il le socialisme, ne peut abolir les oscillations à long terme, car elles sont liées au renouvellement des bases techniques de la production. »
Source : Cité par Joseph Schumpeter dans Business Cycles (1939), résumé des thèses de Kondratieff.

« Les cycles longs ne sont pas des phénomènes accidentels ; ils représentent des lois de la dynamique économique mondiale. »
Source : The Long Waves in Economic Life (1925).

« La succession des vagues de progrès et de crise est une condition nécessaire du développement de la société humaine. »
Source : Rapport de présentation à l’Institut de Conjoncture de Moscou (vers 1926), cité dans plusieurs recueils sur l’histoire de l’analyse conjoncturelle.

 

8. Pour aller plus loin

🔹 Lire Kondratieff

Si vous lisez l’anglais, son article fondateur est :

  • N.D. Kondratieff, The Long Waves in Economic Life (1925)

C’est le texte qui présente la théorie des cycles longs. Il est court et accessible (environ 20 pages).

En français, on trouve des résumés et analyses dans :

  • Les grandes crises économiques (ouvrage collectif), chapitre sur Kondratieff.
  • Les manuels de macroéconomie avancée (ex. Brasseul, Artus).

 

🔹 Retrouver ses idées chez d’autres auteurs

Les cycles longs inspirent :

  • Joseph Schumpeter : il parle de destruction créatrice, processus qui renouvelle l’économie.
  • Ernest Mandel : il reprend la notion de « longue vague » dans une perspective marxiste.

 

🔹 Exemples contemporains

Pour comprendre l’actualité de sa théorie, on peut se demander :
Internet et le numérique (années 1990-2020) forment-ils un nouveau cycle long ?
Les énergies renouvelables et l’IA déclenchent-ils une nouvelle phase ascendante ?
Les crises de 2008 et de 2020 (Covid) marquent-elles le bas d’un cycle ?

Ces questions animent encore les débats en économie.

 

🔹 Pour approfondir

Vous pouvez explorer :

  • Les publications de la School of Long Waves (école d’économie qui poursuit ces recherches).
  • Les travaux de Carlota Perez sur les révolutions techno-économiques.
  • Les bases statistiques de l’OCDE et de la Banque Mondiale pour observer les tendances de long terme.

 

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