Comprendre le keynésianisme : quand l'État relance l'économie

Comprendre le keynésianisme : quand l'État relance l'économie
Economie

Fiche complète sur le keynésianisme : origine, idées, auteurs, politiques de relance. Parfait pour réviser SES

1. Nom du courant et période historique

Le keynésianisme est un courant de pensée économique né dans les années 1930, à la suite de la Grande Dépression. Il doit son nom à l’économiste britannique John Maynard Keynes, dont l’ouvrage majeur, The General Theory of Employment, Interest and Money (1936), a profondément modifié l’analyse économique.

Il apparaît comme une critique directe de l’économie classique et néoclassique, qui considéraient les marchés comme autorégulateurs et toujours capables de revenir à l’équilibre. Au contraire, le keynésianisme soutient que l’économie peut rester durablement en situation de chômage sans intervention publique.

Ce courant marque une rupture dans l’histoire économique. Il devient dominant après la Seconde Guerre mondiale, notamment durant les Trente Glorieuses (1945–1975), période durant laquelle les politiques économiques s’inspirent largement de ses recommandations.

2. Contexte intellectuel et historique

Le keynésianisme émerge dans un contexte de crise économique mondiale sans précédent, la Grande Dépression de 1929, qui provoque une explosion du chômage, la faillite de milliers d’entreprises et un effondrement de la production.

Face à cette situation, les théories classiques et néoclassiques dominantes à l’époque — fondées sur l'idée que le marché s'équilibre seul — se révèlent impuissantes à expliquer la persistance du chômage de masse. La croyance dans l’autorégulation de l’offre et de la demande entre en crise.

Sur le plan intellectuel, les économistes n’ont pas d’outil théorique adapté pour penser une situation de demande insuffisante. Les modèles classiques ne permettent pas d’envisager un déséquilibre durable du marché du travail ou des biens. Keynes propose alors une nouvelle manière de comprendre l’économie.

Le contexte politique joue aussi un rôle : dans les années 1930, face à la montée des tensions sociales et du chômage, les États cherchent des solutions actives, notamment avec le New Deal de Roosevelt aux États-Unis.

Enfin, le développement des statistiques économiques modernes (comme le PIB, les indices de production industrielle ou le taux de chômage) permet pour la première fois d’observer les grands équilibres macroéconomiques de manière chiffrée, ce qui nourrit la pensée keynésienne.

3. Principales idées et mécanismes théoriques

Le keynésianisme repose sur une idée simple mais révolutionnaire pour l’époque : la demande globale détermine le niveau de production et d’emploi dans une économie. Contrairement aux classiques, Keynes affirme que l’offre ne crée pas toujours sa propre demande.

Selon lui, l’économie peut rester bloquée dans un équilibre de sous-emploi. Il ne suffit pas de baisser les salaires pour relancer l’embauche, car si les ménages gagnent moins, ils consomment moins, ce qui réduit la demande adressée aux entreprises.

Keynes introduit une distinction essentielle entre épargne et investissement. Il montre que l’épargne n’est pas automatiquement réinvestie. Si les entreprises n’ont pas confiance dans l’avenir, elles n’investissent pas, même si les taux d’intérêt sont bas. Cela peut entraîner un cercle vicieux de ralentissement économique.

Il insiste aussi sur le rôle central de l’État. Quand la demande privée est insuffisante, l’État doit intervenir. Il peut le faire par des dépenses publiques, comme les investissements dans les infrastructures, ou par des baisses d’impôts pour stimuler la consommation. Cette politique s’appelle la relance par la demande.

L’idée du multiplicateur est au cœur de ce mécanisme. Une dépense publique initiale entraîne une augmentation plus que proportionnelle du revenu national. Par exemple, si l’État construit une école, cela crée du travail pour les ouvriers, qui consomment ensuite, ce qui soutient d’autres secteurs.

Keynes propose donc un modèle où l’économie peut être stabilisée par des politiques budgétaires actives, même si cela implique un déficit temporaire. Le retour à l’équilibre n’est pas spontané : l’intervention publique est nécessaire.

4. Auteurs majeurs et œuvres fondatrices

Le keynésianisme prend son nom de John Maynard Keynes (1883–1946), économiste britannique considéré comme l’un des penseurs les plus influents du XXe siècle. Son ouvrage majeur est :

  • The General Theory of Employment, Interest and Money (La Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, 1936)
    Ce livre marque une rupture avec l’économie classique. Il y développe l’idée que l’équilibre économique peut se faire avec chômage, et que l’État a un rôle essentiel à jouer pour relancer la demande.

Keynes s’appuie aussi sur ses travaux antérieurs, comme :

  • The Economic Consequences of the Peace (1919), où il critique le traité de Versailles et anticipe les déséquilibres économiques à venir.

Après sa mort, plusieurs économistes ont prolongé et structuré la pensée keynésienne, notamment :

  • John Hicks, qui propose en 1937 une modélisation graphique de la théorie générale à travers le modèle IS-LM (Investissement–Épargne / Liquidité–Monnaie). Ce modèle devient un outil standard en macroéconomie.
  • Paul Samuelson, qui intègre les idées keynésiennes dans une approche plus formalisée et les popularise à travers son manuel d’économie, largement utilisé dans l’après-guerre.

Ces auteurs ont contribué à faire du keynésianisme une doctrine dominante dans les politiques économiques des pays développés entre 1945 et 1975.

5. Applications concrètes et politiques économiques

Le keynésianisme a profondément influencé les politiques économiques dans de nombreux pays à partir de la Seconde Guerre mondiale. Son application repose sur une idée centrale : l’État doit soutenir la demande globale pour éviter le chômage et stimuler la croissance.

a. Les Trente Glorieuses (1945–1975)
Pendant cette période de forte croissance en Europe de l’Ouest, aux États-Unis et au Japon, de nombreux gouvernements appliquent des politiques keynésiennes. L'État investit massivement dans les infrastructures, l’éducation, la santé et les grands équipements publics.

  • En France, c’est la période du planisme et de la modernisation de l’économie avec des investissements coordonnés par l'État (Commissariat au Plan).
  • Aux États-Unis, les idées de Keynes avaient déjà été expérimentées dès les années 1930 avec le New Deal de Roosevelt, qui prévoyait des travaux publics, des aides aux chômeurs et des réformes bancaires.

b. Politique budgétaire active
Les États utilisent les budgets publics comme outils de régulation. En cas de ralentissement, ils acceptent les déficits pour soutenir l’économie. En période de surchauffe, ils réduisent les dépenses ou augmentent les impôts pour limiter l’inflation. Cette approche est appelée politique conjoncturelle.

c. Plein emploi comme objectif prioritaire
Le keynésianisme met l’accent sur la lutte contre le chômage. C’est dans cet esprit qu’apparaissent des politiques publiques visant à protéger l’emploi, à soutenir la formation professionnelle, ou à orienter les investissements vers les secteurs stratégiques.

d. Encadrement du marché
Même si Keynes ne prône pas une économie totalement dirigée, il estime que les marchés financiers, en particulier, doivent être encadrés. Cela conduit à la création d’institutions comme le FMI et la Banque mondiale, pensées à l’origine dans une logique inspirée des idées keynésiennes.

En résumé, le keynésianisme donne naissance à l’État-providence moderne, avec des politiques actives en matière d’emploi, de redistribution et de soutien à la croissance.

 

6. Critiques et limites

Le keynésianisme, dominant après 1945, a été fortement critiqué à partir des années 1970, à la fois sur le plan théorique et dans ses résultats pratiques.

a. L’inflation comme conséquence inattendue
Dans les années 1970, de nombreux pays développés connaissent une stagflation : une situation combinant chômage élevé et forte inflation. Or, selon la théorie keynésienne, ces deux phénomènes ne devraient pas coexister. Cela remet en cause l’efficacité des politiques de relance par la demande.

b. La critique monétariste
Des économistes comme Milton Friedman (courant monétariste) reprochent aux keynésiens de négliger le rôle de la monnaie. Ils estiment que l’inflation est avant tout un phénomène monétaire, lié à une création excessive de monnaie par l’État ou la banque centrale. Friedman défend une politique de croissance monétaire contrôlée et stable, sans intervention budgétaire discrétionnaire.

c. Les anticipations rationnelles
À partir des années 1980, de nouveaux modèles (théorie des anticipations rationnelles) montrent que les agents économiques (ménages, entreprises) ne se laissent pas surprendre indéfiniment par les politiques publiques. Si l’État tente de relancer l’économie par la dépense, les acteurs peuvent anticiper une hausse future des impôts ou de l’inflation, et adapter leur comportement, rendant ces politiques inefficaces.

d. L’endettement public
Les politiques de relance peuvent entraîner des déficits budgétaires chroniques et une hausse de la dette publique. À long terme, cela peut peser sur la confiance des marchés financiers et limiter les marges de manœuvre de l’État.

e. La complexité de l’intervention
Enfin, certains critiquent les difficultés pratiques à mettre en œuvre une politique keynésienne "bien dosée" : il est difficile de prévoir le bon moment pour agir, d’évaluer l’ampleur de l’intervention nécessaire, et d’en mesurer rapidement les effets.

Malgré ces critiques, de nombreux économistes considèrent que le keynésianisme reste pertinent, surtout en période de crise.

7. Héritage et postérité

Le keynésianisme a profondément marqué la pensée et la pratique économiques du XXe siècle, et continue d'influencer les débats actuels.

a. Un pilier de la macroéconomie moderne
Même si de nouvelles théories sont apparues, la pensée keynésienne reste au cœur des politiques économiques. L'idée que la demande globale peut être insuffisante, et que l'État doit intervenir pour la soutenir, est aujourd'hui largement admise dans certaines circonstances.

b. Le retour du keynésianisme en temps de crise
À chaque grande crise, les États reviennent massivement aux outils keynésiens. Ce fut le cas :

  • En 2008, après la crise financière mondiale. De nombreux pays lancent des plans de relance budgétaire pour éviter un effondrement de l'activité.
  • En 2020, pendant la crise du COVID-19. L'intervention publique a été massive : aides aux entreprises, soutien aux revenus, investissements publics.

Ces exemples montrent que, malgré les critiques, le keynésianisme reste une boîte à outils mobilisable en cas de choc économique majeur.

c. Nouvelles formes du keynésianisme
Des courants récents se revendiquent de Keynes tout en l’adaptant :

  • Le néo-keynésianisme cherche à intégrer les apports des théories récentes (comme les anticipations rationnelles) dans un cadre plus rigoureux, tout en conservant l'idée d'une intervention publique stabilisatrice.
  • Des auteurs comme Joseph Stiglitz ou Paul Krugman défendent des politiques keynésiennes face aux inégalités ou aux crises écologiques.

d. Une influence politique durable
Au-delà de l’économie, le keynésianisme a renforcé la légitimité d’un État social et régulateur. Il a influencé la construction des systèmes de protection sociale, le rôle des institutions internationales (FMI, Banque mondiale), et les objectifs des politiques économiques nationales.

En résumé, le keynésianisme n’est plus hégémonique, mais il reste vivant, évolutif et régulièrement mobilisé face aux défis contemporains.

8. À retenir — Synthèse

Voici une synthèse claire et structurée, utile pour la révision ou la mémorisation des idées clés :

Élément

Contenu essentiel

Période

Années 1930, en réaction à la crise de 1929

Fondateur

John Maynard Keynes

Idée centrale

La demande globale détermine la production et l’emploi

Rôle de l’État

Intervention nécessaire pour stabiliser l’économie et éviter le chômage

Outils utilisés

Dépenses publiques, baisse des impôts, déficit budgétaire temporaire

Concepts clés

Multiplicateur, équilibre de sous-emploi, politique conjoncturelle

Exemples historiques

New Deal (USA), Trente Glorieuses (Europe), plans de relance en 2008 et 2020

Critiques

Risque d’inflation, déficit chronique, anticipations des agents

Héritage

Encore mobilisé aujourd’hui lors des grandes crises économiques

 

Lexique de base

Demande globale
C’est la somme des demandes adressées aux producteurs d’un pays (consommation, investissement, dépenses publiques, exportations). Pour Keynes, c’est le principal moteur de l’activité économique.

Sous-emploi
Situation où tous ceux qui veulent travailler ne trouvent pas d’emploi, même si les salaires baissent. Keynes considère que le marché du travail ne s’ajuste pas naturellement.

Multiplicateur keynésien
Mécanisme selon lequel une dépense initiale (par exemple de l’État) entraîne une augmentation plus que proportionnelle du revenu national. Chaque euro dépensé circule dans l’économie et provoque plusieurs cycles de revenus/consommation.

Politique budgétaire
Utilisation du budget de l’État (dépenses et recettes) pour agir sur l’économie. Elle peut être expansionniste (déficits pour relancer la demande) ou restrictive (excédents pour freiner l’inflation).

Politique de relance
Ensemble des mesures visant à stimuler l’activité économique en période de ralentissement (hausse des dépenses publiques, baisse d’impôts, subventions…).

Équilibre de sous-emploi
Situation stable mais insatisfaisante où l’économie fonctionne en dessous de son potentiel, avec chômage et capacités de production inutilisées.

État-providence
Modèle d’État qui intervient pour garantir le bien-être de la population (protection sociale, santé, éducation, lutte contre les inégalités…).

Stagflation
Conjonction d’une stagnation économique (ou d’un chômage élevé) et d’une forte inflation. Cette situation a remis en cause certaines prévisions keynésiennes dans les années 1970.

 

9 – Exemple schématique

 

Ce schéma montre un cycle vertueux :

  • L’État injecte de l’argent via des dépenses.
  • Cela augmente la demande globale.
  • Les entreprises produisent plus et embauchent.
  • Les ménages ont plus de revenus, consomment davantage.
  • Ce qui relance encore la demande.

 

10. Pour aller plus loin

Voici une sélection de ressources pour approfondir la pensée keynésienne, sa postérité et ses débats contemporains. Elles peuvent être utiles aux lycéens, étudiants ou curieux en économie.

Ouvrages clés

  • John Maynard Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936)
    — L’ouvrage fondateur du keynésianisme. Dense mais essentiel pour comprendre la rupture avec la pensée classique.
  • Alain Parguez, L’État social contre le marché
    — Présente de manière claire la logique keynésienne et ses implications sur les politiques publiques.
  • Paul Krugman, Lutter contre la dépression (2012)
    — Expose pourquoi une approche keynésienne reste pertinente après la crise de 2008.
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