Monétarisme et Nouvelle école classique : comprendre les fondements d'une politique monétaire rigoureuse

Monétarisme et Nouvelle école classique : comprendre les fondements d'une politique monétaire rigoureuse
Economie

Explorez les principes du monétarisme et de la nouvelle école classique : Milton Friedman, anticipations rationnelles, banques centrales, inflation et stabilité monétaire.

1. Nom du courant et période historique

Le monétarisme est un courant économique né dans les années 1950–1960. Il critique l’intervention de l’État dans l’économie, notamment la politique budgétaire. Il affirme que la régulation de la masse monétaire suffit à stabiliser l’économie. Le chef de file de ce courant est l’économiste américain Milton Friedman.

La nouvelle école classique, apparue dans les années 1970, prolonge certains principes du monétarisme, mais en intégrant les avancées de la microéconomie moderne. Elle repose notamment sur l’idée que les agents économiques anticipent rationnellement les effets des politiques économiques.

Ces deux courants s’opposent frontalement au keynésianisme. Ils gagnent en influence après les chocs pétroliers des années 1970, période marquée par l’inflation et la stagnation économique. Ils ont contribué à un tournant majeur vers des politiques libérales, en particulier dans les pays anglo-saxons.

2. Contexte intellectuel et historique

Le monétarisme et la nouvelle école classique émergent dans un contexte de remise en cause du consensus keynésien d’après-guerre.

Après la Seconde Guerre mondiale, la plupart des pays développés appliquent des politiques économiques keynésiennes. L’État intervient activement dans l’économie pour soutenir la demande, avec des résultats plutôt positifs dans les années 1950-1960.

Mais dans les années 1970, la situation change brutalement. Deux chocs pétroliers provoquent une forte inflation et un ralentissement de la croissance. Le phénomène de stagflation (croissance faible + inflation élevée) contredit les prévisions keynésiennes. Les gouvernements, en stimulant la demande, aggravent l’inflation sans faire baisser le chômage.

Sur le plan intellectuel, plusieurs économistes remettent en question le rôle de l’État. Les travaux de Milton Friedman, dans la continuité de l’école de Chicago, insistent sur l’importance de la politique monétaire et sur les effets négatifs de l’intervention publique.

Parallèlement, des économistes développent une nouvelle approche fondée sur la microéconomie : la nouvelle école classique. Elle suppose que les agents économiques utilisent toute l’information disponible pour anticiper les effets des politiques économiques. Si les anticipations sont "rationnelles", les politiques publiques perdent en efficacité.

La crise des années 1970, l’échec des politiques de relance et la montée de l’inflation fournissent un terrain favorable à la diffusion de ces idées.

3. Principales idées et mécanismes théoriques

Le monétarisme (Milton Friedman)

Le monétarisme repose sur l’idée que la masse monétaire détermine le niveau des prix à long terme. Si la quantité de monnaie augmente trop vite, l’inflation apparaît. À l’inverse, une croissance modérée de la masse monétaire favorise la stabilité.

Friedman reformule la fameuse équation de la théorie quantitative de la monnaie :
MV = PY
où :

  • M est la masse monétaire,
  • V la vitesse de circulation de la monnaie,
  • P le niveau des prix,
  • Y le volume de production.

Friedman considère que V et Y évoluent lentement, donc une variation excessive de M entraîne nécessairement une variation de P. D’où sa recommandation : une croissance stable et prévisible de la masse monétaire, sans intervention discrétionnaire de la banque centrale.

Il s’oppose aussi aux politiques de relance budgétaire. Selon lui, les politiques keynésiennes ont des effets limités à court terme et sont nuisibles à long terme. Elles perturbent les anticipations des agents et alimentent l’inflation.

La nouvelle école classique

Ce courant reprend plusieurs idées du monétarisme, mais y ajoute une dimension microéconomique plus rigoureuse.

Deux concepts essentiels :

  • Anticipations rationnelles : les agents économiques ne se laissent pas tromper par les politiques économiques. Ils utilisent toutes les informations disponibles pour prédire leurs effets.
  • Neutralité de la monnaie : à long terme (et même parfois à court terme), la monnaie n’a pas d’effet sur les grandeurs réelles (emploi, production). Elle n’agit que sur les prix.

Résultat : les politiques économiques sont souvent inefficaces, sauf si elles sont surprises et crédibles.

Ce courant repose aussi sur l’idée que les marchés s’autorégulent rapidement. Les ajustements de prix et de salaires permettent de revenir à l’équilibre. Le chômage est donc souvent temporaire, lié à des erreurs d’anticipation ou à des rigidités artificielles.

4. Auteurs majeurs et œuvres fondatrices

Milton Friedman (1912–2006)

Friedman est le principal représentant du monétarisme. Professeur à l’université de Chicago, il critique l’intervention étatique excessive et milite pour une régulation simple et prévisible de la masse monétaire.

Ses œuvres majeures :

  • "Essays in Positive Economics" (1953)
    Il y défend une vision empirique de l’économie et propose que les modèles doivent être jugés à leurs résultats, non à la réalité de leurs hypothèses.
  • "A Monetary History of the United States (1867–1960)" (1963), avec Anna Schwartz
    L’ouvrage démontre que la Grande Dépression fut aggravée par une politique monétaire trop restrictive. Il remet en cause la version keynésienne des années 1930.
  • "Inflation and Unemployment" (1968)
    Conférence célèbre où il critique la courbe de Phillips et introduit la notion de taux de chômage naturel.

Robert Lucas (1937–2023)

Lucas est l’un des fondateurs de la nouvelle école classique. Il intègre l’idée d’anticipations rationnelles dans la modélisation macroéconomique.

Principales contributions :

  • "Expectations and the Neutrality of Money" (1972)
    Il montre que si les agents anticipent correctement les politiques économiques, alors la monnaie devient neutre même à court terme.
  • "Econometric Policy Evaluation: A Critique" (1976)
    Il critique l’usage de modèles économiques basés sur des relations empiriques passées. Si les politiques changent, les comportements changent aussi : c’est la critique dite de Lucas.

Autres auteurs associés

  • Thomas Sargent et Robert Barro prolongent les travaux de Lucas sur les modèles à anticipations rationnelles.
  • Eugene Fama, autre figure de l’école de Chicago, développe la théorie des marchés financiers efficients, compatible avec les hypothèses classiques.

 

5. Applications concrètes et politiques économiques

Dans les années 1980, les idées monétaristes et néoclassiques influencent profondément les politiques économiques de plusieurs pays développés.

Aux États-Unis, l’inflation élevée des années 1970 pousse la Réserve fédérale, dirigée par Paul Volcker, à adopter une politique monétaire stricte. La croissance de la masse monétaire est fortement réduite. Les taux d’intérêt montent en flèche. Cela provoque une récession à court terme, mais l’inflation recule rapidement. Ce tournant est perçu comme un succès de la doctrine monétariste.

En parallèle, le président Ronald Reagan met en œuvre une politique économique libérale : baisses d’impôts, réduction du rôle de l’État, déréglementation des marchés. Cette stratégie, surnommée Reaganomics, reflète les principes de la nouvelle école classique, qui valorise l’initiative privée et la discipline budgétaire.

Au Royaume-Uni, la Première ministre Margaret Thatcher suit une trajectoire similaire. Elle lutte contre l’inflation par une politique monétaire rigoureuse, privatise de nombreuses entreprises publiques et affaiblit le pouvoir des syndicats. Pour elle, la croissance passe par la liberté des marchés et la réduction des dépenses publiques.

Dans la zone euro, la Banque centrale européenne adopte un mandat clair : garantir la stabilité des prix. Elle s’inspire largement du monétarisme et refuse toute politique monétaire expansionniste excessive.

Enfin, dans les pays en développement, les institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale imposent des politiques d’ajustement structurel : rigueur budgétaire, ouverture commerciale, privatisations. Ces recommandations, connues sous le nom de Consensus de Washington, s’appuient sur les théories néoclassiques dominantes à l’époque.

6. Critiques et limites

Le monétarisme et la nouvelle école classique ont été critiqués dès leur mise en œuvre, tant sur le plan théorique que pratique.

Sur le plan empirique, plusieurs économistes estiment que la relation stable entre masse monétaire et inflation, affirmée par les monétaristes, ne se vérifie pas toujours dans la réalité. Les tentatives de contrôle strict de la masse monétaire ont parfois échoué, notamment à cause de l’instabilité de la vitesse de circulation de la monnaie.

Les politiques inspirées de ces doctrines ont souvent provoqué des récessions sévères. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, les taux de chômage ont atteint des niveaux très élevés dans les années 1980. La rigueur monétaire a freiné la croissance pendant plusieurs années.

Le rejet de l’intervention de l’État est aussi contesté. De nombreux économistes soulignent que les marchés ne s’autorégulent pas toujours. Des phénomènes comme les bulles financières ou les crises bancaires montrent les limites d’un excès de déréglementation.

La rationalité parfaite des agents économiques, postulée par la nouvelle école classique, est jugée irréaliste. En pratique, les individus ne disposent pas toujours de l’information suffisante, ni de la capacité de traiter correctement les données. Cela affaiblit l’idée d’anticipations rationnelles généralisées.

Enfin, ces théories ont été fortement remises en question après la crise financière de 2008. Face à l’effondrement du crédit et à la chute de la demande, les banques centrales ont adopté des politiques monétaires très expansives, en contradiction avec les préceptes monétaristes. De nombreux analystes y ont vu un retour en force de la pensée keynésienne.

7. Héritage et postérité

Malgré les critiques, le monétarisme a profondément marqué les politiques monétaires contemporaines. L’idée que l’inflation est avant tout un phénomène monétaire reste dominante dans les banques centrales. La plupart des institutions monétaires (comme la BCE ou la Fed) se sont vu confier un objectif prioritaire de stabilité des prix, hérité directement de la pensée monétariste.

Le principe d’une banque centrale indépendante, c’est-à-dire libérée des pressions politiques à court terme, s’impose à partir des années 1990. Cette idée, fortement défendue par les monétaristes, repose sur la méfiance envers les politiques budgétaires discrétionnaires et inflationnistes.

Les théories de la nouvelle école classique ont aussi laissé une trace durable. L’analyse des anticipations des agents économiques est devenue incontournable. Même les modèles néokeynésiens modernes (comme ceux utilisés par les banques centrales) intègrent l’idée que les décisions dépendent des attentes des ménages, des entreprises et des marchés financiers.

Sur le plan académique, le modèle DSGE (Dynamic Stochastic General Equilibrium), très utilisé en macroéconomie aujourd’hui, est issu de la synthèse entre la nouvelle école classique et certains éléments keynésiens. Il repose sur des hypothèses de comportements rationnels, d’équilibre général, et de chocs exogènes.

Enfin, certaines idées du monétarisme sont revenues sur le devant de la scène avec la montée des inquiétudes inflationnistes après 2020. Les débats sur la création monétaire et le financement des dettes publiques réactivent des thèmes centraux du monétarisme.

8. À retenir – Synthèse

Élément

Contenu essentiel

Définition

Le monétarisme est un courant économique qui place la masse monétaire au cœur de la régulation de l’économie. La nouvelle école classique prolonge cette logique avec des hypothèses plus strictes sur la rationalité des agents.

Période

Principalement à partir des années 1950 (monétarisme), renforcé dans les années 1970-80 avec la nouvelle école classique.

Contexte

Réaction à l’échec des politiques keynésiennes face à la stagflation. Crise de légitimité de l’intervention étatique.

Idées clés

L’inflation est toujours un phénomène monétaire. Il faut contrôler strictement la masse monétaire. Les agents ont des anticipations rationnelles. Les marchés sont efficaces.

Auteurs majeurs

Milton Friedman, Robert Lucas, Thomas Sargent.

Applications concrètes

Politique de désinflation en France (1983), politique de Volcker à la Fed, indépendance des banques centrales.

Limites

Chômage élevé dans les années 1980, hypothèses irréalistes sur la rationalité, critiques après la crise de 2008.

Héritage

Domination des banques centrales indépendantes, objectif de stabilité des prix, intégration des anticipations dans les modèles actuels.

 

Lexique des notions clés

  • Masse monétaire : quantité totale de monnaie en circulation dans une économie.
  • Anticipations rationnelles : idée que les agents économiques utilisent toute l’information disponible pour prévoir l’avenir de façon réaliste.
  • Inflation : hausse généralisée et durable des prix.
  • Politique monétaire : ensemble des décisions prises par la banque centrale pour réguler la quantité de monnaie et les taux d’intérêt.
  • Stagflation : situation économique marquée à la fois par une stagnation de l’activité et une inflation élevée.
  • Taux directeur : taux d’intérêt fixé par la banque centrale pour orienter l’activité économique.
  • Choc exogène : événement extérieur au modèle économique (comme une crise énergétique) qui perturbe l’économie.
  • Équilibre général : situation théorique où tous les marchés (biens, travail, capital) sont simultanément à l’équilibre.
  • Règle de Taylor : règle qui guide la politique des taux d’intérêt en fonction de l’écart entre inflation réelle et inflation cible.

 

9 – Schéma illustrant la logique du monétarisme

 

 

10. Pour aller plus loin

Œuvres de référence

  • Milton Friedman, Capitalism and Freedom (1962) : expose sa vision d’une économie libre fondée sur un État minimal et une politique monétaire stricte.
  • Milton Friedman & Anna Schwartz, A Monetary History of the United States (1867–1960) (1963) : ouvrage fondamental démontrant que les erreurs de la Réserve fédérale ont aggravé la Grande Dépression.
  • Robert Lucas, Expectations and the Neutrality of Money (1972) : texte fondateur de la nouvelle école classique, introduit l’idée des anticipations rationnelles.

Concepts à explorer

  • La règle de Taylor : formule qui propose un taux directeur optimal en fonction de l’inflation et du PIB. Synthèse entre keynésiens et monétaristes.
  • La courbe de Phillips augmentée : montre que la relation entre inflation et chômage dépend des anticipations. Inspirée du modèle monétariste.
  • Le taux naturel de chômage (ou NAIRU) : idée que toute tentative de maintenir un chômage en dessous de ce niveau provoque de l’inflation.

Débats actuels

  • Le rôle des banques centrales indépendantes : sont-elles toujours efficaces ou trop rigides ?
  • Les limites de la croyance dans les marchés efficients, notamment après la crise financière de 2008.
  • Le retour du débat sur la création monétaire, avec les politiques non conventionnelles (QE, taux zéro) et les propositions comme la monnaie hélicoptère.
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